Stefania Vitulli : « Intégrer la durabilité dans la communication des entreprises »

« Green marketing », « développement durable » ou encore « greenwashing » sont devenues des expressions incontournables pour les entreprises. La responsabilité des acteurs de la communication s’est désormais élargie. Rencontre avec Stefania Vitulli à la fois consultante, professeure et chercheuse à l'Université catholique du Sacré-Cœur de Milan qui nous aide à mieux saisir ces nouveaux enjeux.

Stefania Vitulli se présente avant tout comme une professionnelle de la communication. Elle a travaillé pendant plus de 20 ans dans la publicité, aussi bien pour des agences de communication que des grandes entreprises. C’est en parallèle de son travail qu’elle a commencé à intervenir à l’Université catholique du Sacré Coeur de Milan. Ses cours portent désormais sur la communication corporate, le CEObranding et la réputation des entreprises.


Issue au départ d’une filière littéraire et philosophique, c‘est au hasard d’une rencontre dans les années 90 qu’elle a commencé à s’intéresser au concept de durabilité et à ce qu’on appelait plus communément à l’époque la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Elle a mené ses premières recherches sur le sujet à la bibliothèque de la Fondazione Eni Enrico Mattei (FEEM), un institut de recherche international consacré à l’étude du développement durable et fondé par l’entreprise gazière et pétrolière ENI. Elle s’est rapidement rendue compte que la durabilité était un sujet de niche dans le domaine de la communication. En effet, avant les années 2000, la durabilité intéressait surtout les entreprises du secteur pétrolier et gazier directement touchées par ces problématiques. C’est ainsi qu’elle a commencé à vouloir créer un lien entre la durabilité, la communication et la réputation des entreprises. Elle nous livre aujourd’hui son point de vue sur la situation actuelle et nous explique comment les entreprises peuvent parvenir à améliorer leur communication sur la durabilité.

Quels sont les principaux challenges actuels auxquels un professionnel de la communication doit faire face  ?
Je souhaiterais employer deux mots. Le premier est l’éthique et le second, qui est connecté à l’éthique, est la transparence. Comme vous pouvez l’imaginer, ces deux concepts sont liés mais aussi dépendants l’un de l’autre. D’un côté, quand je parle d’éthique, je fais référence à des codes moraux parce que la communication est liée aujourd’hui à un triple facteur. On ne parle plus seulement du vrai et du faux désormais mais du vrai, du faux et du «  fake  ». Nous ne retrouvons pas le «  fake  » seulement dans le domaine journalistique mais également dans la publicité, la communication corporate et le management. Pour lutter contre le «  fake  » dans la communication, nous avons besoin d’un code moral qui devrait convaincre les entreprises d’emprunter un chemin spécifique et de ne pas se mettre en roue libre. Cette voie à suivre nous permettrait de savoir si ce que les entreprises disent d’ellesmêmes ou si ce que les gens racontent sur la marque est vrai ou faux. D’un autre côté, quand je dis éthique, j’entends aussi «  pionnier éthique  », c’estàdire être le premier à décider de la voie à suivre. Je ne parle donc pas seulement d’éthique comme un objectif à atteindre pour montrer qu’on est une bonne personne mais aussi de pionner éthique comme avantage concurrentiel. En ce qui concerne la transparence, la communication a toujours été, au cours des cinquante dernières années, un domaine dans lequel on pouvait trouver quelque chose d’unique, de nouveau et de perturbateur. Selon moi, la communication doit aujourd’hui devenir un outil grâce auquel nous pouvons récupérer, rénover et réinventer une manière d’être qui était propre aux origines des entreprises c’estàdire le contact humain. Il faut réinstaurer la possibilité de parler, non pas un à un car le monde globalisé ne le permet plus, mais au moins en apportant la sensation que les citoyens et les consommateurs sont considérés comme des êtres humains et non comme des chiffres pour des indicateurs de performance. La transparence pourrait être d’une grande aide à cet égard car la responsabilité des principaux scandales et des principaux échecs de communication réside dans les recoins cachés et les brèches que les entreprises laissent dans leur flux de communication. Même si les entreprises ne peuvent pas contrôler totalement le flux de communication, elles pourraient au moins tenter de le diriger. La transparence pourrait les aider à montrer leur bonne volonté et leur donner la possibilité de devenir des leaders dans ce manque de confiance des parties prenantes et des actionnaires. Je pense donc que la transparence pourrait réellement devenir une possibilité d’occuper, de façon positive, l’arène du débat et de la communication.

Comment percevezvous la durabilité aujourd’hui  ? Et pourquoi pensezvous qu’il s’agit d’un sujet important pour la communication  ?
Lorsque l’on utilise beaucoup un mot, il a tendance à perdre son sens originel. Durant les cinq dernières années, la durabilité (sustainability en anglais) est devenue un mot très utilisé et parfois galvaudé. Beaucoup d’entreprises m’ont contacté ces dernières années dans le but de les aider à inventer un nouveau mot. Cependant, il ne s’agit pas de trouver un autre terme mais il s’agit d’utiliser les mots et de leur donner un sens parce que si vous les utilisez simplement comme vous mettez des vêtements différents tous les jours, vous ne saurez jamais qui se trouve sous ces vêtements. Tout d’abord, il pourrait être intéressant de définir
la durabilité. Nous pouvons utiliser un autre mot, mais nous devons trouver une signification différente pour chaque entreprise. C’est ce que je pousse les entreprises à faire. Il faut qu’elle trouve leur propre définition de la durabilité. Quand nous nous intéressons à des marquesconnues, telles que San Pellegrino, Adidas ou Apple, nous savons que le type de durabilité de ces entreprises est lié à du concret, des faits et un code comportemental. Selon moi, la première chose à faire est de trouver le storytelling adapté à chaque entreprise. Évidemment, la durabilité n’est pas seulement une affaire d’entreprises, c’est aussi une affaire de
communautés, de citoyens et d’associations. Elle concerne également les gouvernements, les organisations mondiales et les médias. L’autre élément important est donc l’éducation. Si la première étape est de définir la durabilité pour chaque entreprise, la seconde est de trouver une voie pédagogique, qui pourrait avoir un socle commun de valeurs éthiques liées à la durabilité, car comme vous le savez depuis l’échec de la COP26, l’un des risques est que chaque pays possède son propre code pour la durabilité et masque sa mauvaise volonté derrière ce code. La durabilité n’est pas seulement liée au développement des entreprises. Elle est également liée à la survie des communautés dans les pays qui sont déjà en danger ou qui le seront bientôt en raison du changement climatique. Il s’agit de trouver un code éducatif qui puisse aider les différentes cultures et les différentes communautés à communiquer. Et cela ne peut se faire qu’en éduquant les citoyens.

Selon vous, quelles sont les règles de bonne conduite que les entreprises devraient adopter concernant leur communication sur la durabilité  ?

Durant mes cours sur la durabilité, je précise quatre étapes qui, selon moi, sont fondamentales pour créer un message qui puisse atteindre l’ensemble des parties prenantes. Selon moi, la première des quatre règles d’or est l’engagement multiacteur, c’estàdire ne pas penser uniquement aux parties prenantes qui, selon vous, pourraient avoir un impact direct sur votre entreprise ou sur votre service ou produit idéal. À chaque fois que l’entreprise communique sur la durabilité, c’estàdire sur les valeurs éthiques, elle doit penser à un engagement qui pourrait englober toutes les parties prenantes potentielles, parce que les valeurs éthiques
sont un élément pour lequel tout le monde peut se battre. Elle doit penser à engager et à impliquer le plus grand nombre de parties prenantes possible dans son action de communication. La seconde règle d’or est la voie éducative et formative. La durabilité étant un sujet complexe, il ne faut pas penser qu’il suffit de créer un simple message dans lequel vous dites aux gens qu’un produit est durable en espérant qu’ils comprennent. L’entreprise doit développer une plateforme multiniveaux sur laquelle elle peut informer. Elle peut créer un spot commercial de 30 secondes dans lequel la durabilité d’un produit est mise en avant mais elle doit créer des pages de renvoi vers une plateforme qui doit prévenir les malentendus. L’entreprise peut créer un atelier, un webinaire et des opportunités grâce auxquelles les visiteurs peuvent s’informer sur la durabilité. La création de réseaux est également fondamentale car elle est liée à l’éducation. Il faut créer des réseaux avec des écoles, des académies ou des institutions. La troisième règle est la position de précurseur,
c’estàdire être un leader en matière de durabilité. En choisissant le bon storytelling, l’entreprise s’assure que ce sera la première fois que le public entendra son récit sur la durabilité car il sera propre à son activité et sa situation. Il s’agit d’être des leaders et de créer un discours unique qui sera vu pour la première fois sur le marché. Les choix durables et le green marketing doivent être envisagés comme un nouveau problème. Et enfin, la quatrième règle est d’avoir de bons partenaires. Normalement, la majorité des entreprises ne sont pas écologiques et durables par naissance. Elles se transforment et elles essayent de devenir plus vertes. Pour passer à un modèle plus responsable, elles ont besoin de partenaires, d’associations, d’experts en environnement, des gouvernements dans certains cas ou d’institutions mondiales comme le Global Compact. Ainsi, avoir de bons partenaires signifie laisser les portes ouvertes pour que les partenaires puissent voir ce qui est fait en matière de distribution, de chaîne d’approvisionnement et de ressources humaines. Ces partenaires peuvent ensuite apporter leur expertise pour rendre les procédés plus durables.

Êtesvous optimiste par rapport à l’avenir  ? Pensezvous que nous allons dans la bonne direction ?
Je ne sais pas si nous allons dans la bonne direction. En revanche, je peux dire que nous avançons. Nous agissons. Donc si je dois comparer les temps présents aux quinze premières années où je me suis intéressée à la durabilité, je peux dire que maintenant nous bougeons et nous sommes conscients. Je ne sais pas si cela va nous amener à la solution ou à une sorte de solution, mais il se passe quelque chose.

Auriezvous un conseil à donner aux futurs professionnels de la communication ?
Je souhaiterais ajouter un élément qui concerne mon travail de recherche actuel. Si nous parlons de durabilité, mais même si nous parlons simplement de survie dans le monde de la communication et du marketing, nous devons nous concentrer de plus en plus sur les êtres humains individuels. Nous devons aborder l‘être humain individuel sous deux angles. Premièrement, il faut s’autocentrer, c’estàdire prendre conscience de son rôle en tant qu’être humain individuel dans la société. Il est facile de la perdre maintenant que nous sommes si nombreux. Nous pouvons nous sentir parfois comme de simples numéros. Se concentrer sur les autres être humains lorsque que nous parlons de communication, de relation de de contact humain est aussi un élément important. Le sentiment de responsabilité individuel sera, selon moi, la clé de la communication et de la durabilité dans le futur. Même dans les pays collectivistes où la communauté est le principal biais d’appartenance, chaque personne doit se sentir responsable de l’avenir immédiat, qu’il soit durable ou non, car il n’y a pas que la durabilité mais également beaucoup d’autres problématiques. Une aide précieuse pourrait venir des humanités comme la philosophie, la psychologie et l’anthropologie. En suivant les tendances, nous voyons que c’est exactement ce qu’il est en train de se passer. Les philosophes et les penseurs qui pourraient nous aider à mieux appréhender nos comportements retrouvent leur statut dans la société. Je crois vraiment à cela.

Propos recueillis par Enora Jaouen