Jeudi 12 mars 2020, 16h. Sur la Grand Place de Louvain-la-Neuve un grand tipi est dressé. Il abrite des étudiants joyeux, partageant une bière, discutant ou sautillant sur des airs de variété française. Pourtant, sur tous les téléphones s’affiche une notification. C’est l’ultime mail du recteur de l’université qui nous informe qu’à partir du lendemain tous les cours sont suspendus et ce pendant un mois, de même que les activités associatives, sportives et festives. Ce rassemblement est malgré tout encore bien vivant, il s’agit du « Cap Transition » organisé par divers kots-à-projet fédérés autour de la recherche d’un mode de vie durable et responsable. Jusqu’alors les kapistes et ses gais lurons semblaient à l’abris du virus, sous les tentes et protégés par les toiles. Mais à 17h ils sont contraints d’annuler le « défilé alternatif » ainsi que les activités prévues dans la soirée et le lendemain. C’est officiellement le dernier rassemblement de Louvain-la-Neuve, dont la clôture inaugure une longue période d’accalmie, inhabituelle dans cette ville étudiante accoutumée à une effervescence constante. A partir de ce soir la ville va s’éteindre et se vider, déjà des étudiants belges et étrangers font leurs valises.

Un drôle d’invité au sein de l’université
Revenons en arrière, lorsque le mot « Corona » n’entrait pas encore dans notre vocabulaire et que nous étions encore libres comme l’air. L’existence de ce virus, je l’ai apprise par Peter (les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat), étudiant irlandais rencontré lors de mon arrivée à Louvain-la-Neuve, fraîchement débarquée d’Italie : « j’espère que tu ne nous amènes pas le Coronavirus » m’avait-il dit d’un petit rire narquois. Ça ressemblait plutôt à une blague ce Corona, pour moi et mes camarades. Il est peu à peu entré dans nos discussions, mais on le voyait de loin : c’était le virus qui sévissait en Chine, puis en Italie, et les médias qui en faisaient trop. Mais il est arrivé chez nous. Le premier mars, le recteur de l’université a adressé un mail à l’ensemble de la communauté universitaire en nous communiquant les dispositions mises en place pour lutter contre la propagation du virus, arrivé à son tour en Belgique. Une cellule de coordination a été formée au sein de l’administration, des adresses mails dédiées ont été créées pour répondre aux questions des étudiants et des membres du personnel et une page mise à jour en temps réel est apparue sur le site de l’UCL.
Enfin, je dois bien avouer que tout cela je ne l’ai découvert qu’une dizaine de jours plus tard, lorsque j’ai configuré ma messagerie UCL. Oups. Ce n’est en effet que le 9 mars que tout cela est devenu réel pour moi, lorsqu’un camarade croisé en face de la bibliothèque me fait part de la nouvelle : un assistant-professeur de l’université a été testé positif. C’est tout de même un choc, accompagné de l’impression qu’il faut peut-être essayer de « vivre » avant que tout brutalement ne s’arrête. Mais il est trop tard. A peine vingt-quatre heures plus tard, j’apprends que deux autres cas d’infection ont été détectés : il s’agit maintenant d’étudiants. Cela inaugure un déferlement de mesures restrictives : toutes les soirées de Cercles, Régionales et des Kots-à-projets dans les « surfaces d’animation étudiante » sont interdites, le centre sportif ferme ses portes, la « Revue », grand spectacle emblématique de Louvain, est annulé puis les cours en présentiels sont supprimés.
La rapidité de l’enchaînement des événements entraîne chez nombre d’entre nous une grande confusion et une certaine panique. Avec mes camarades du Circokot, on se dit prêts à assurer coûte que coûte le « souper de recrutement » que nous avions prévu pour ce jeudi soir. Mais au fur et à mesure de l’après-midi et des messages sur la conversation Messenger, nous nous désistons tour à tour.

Stress et détresse, les émotions mêlées
Ce sentiment d’impuissance ne semble épargner personne, aussi bien Emma, étudiante à Louvain depuis un ans pour qui la crise a été source de « beaucoup de stress et de remises en question », que Lisa, étudiante suisse en Erasmus, contrainte à partir du jour au lendemain. La situation est difficile à accepter pour nous, étudiants en mobilité : pour Lisa cela représente un échec, l’impression de ne pas avoir vécu l’expérience jusqu’au bout : « cela impliquait de laisser mes nouveaux amis et de renoncer à mon échange Erasmus ». Et puis il y a ceux qui viennent de plus loin ; de Turquie, d’Argentine ou du Canada, qui se trouvent contraints parfois de quitter Louvain sans la certitude que l’avion qu’ils ont réservé les conduira à bon port.
L’Université tient la barre
Malgré tout, les mesures prises par l’UCL sont bien comprises des étudiants, comme l’exprime Vincent, étudiant en philosophie : « je trouve ça bien dommage évidemment mais face à un tel cas de pandémie il n’aurait pas été raisonnable de laisser ouvertes les salles d’animation ».
L’université a été très réactive et a géré la situation de la meilleure manière possible
Emma, après avoir ressenti une incompréhension face aux premières décisions de suspendre les soirées tout en maintenant les cours en présentiel, a trouvé que « l’Université avait été très réactive et avait géré la situation de la meilleure manière possible ». Dans l’ensemble, l’UCL s’est bien fait comprendre des étudiants et a assuré une bonne maîtrise de sa communication de crise. Celle-ci se voulait claire et bienveillante, et a été perçue comme telle. C’est principalement le recteur de l’université qui s’adressait à nous par mail, en détaillant point par point les mesures prises et en explicitant l’avancée de la situation, et surtout, en s’adressant à l’ensemble de la communauté universitaire ce qui a eu l’avantage d’éviter tout quiproquo. Tout le monde était au même niveau d’information, aussi bien les professeurs, les bibliothécaires que les étudiants. Ainsi, pas de bruits de couloirs ou d’informations contradictoires. De plus, si la communication par mail était le principal canal d’informations, la page Facebook « UCLouvain – Université Catholique de Louvain » retransmettait simultanément les mêmes informations. Là encore, il est à noter un grand effort de clarté ; les posts concernant l’évolution de la situation étant signalés par le mot « UPDATE », les informations rendues visuelles par l’utilisation d’émojis (des panneaux « attention » ou des flèches) et le renvoi vers le site web mis à jour en temps réel.
…Sans larguer ses matelots
Une grande clarté donc, mais loin d’être alarmistes ou froids, nos interlocuteurs de l’université se sont montrés très bienveillants voire chaleureux. Le recteur dans chacun de ses mails tient à nous rassurer : « la personne se porte bien et s’est isolée dès l’apparition des premiers symptômes » écrit-il par exemple alors qu’il nous informe qu’une personne a été contaminée sur le campus. Le doyen de la faculté ESPO (faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication), quant à lui, introduit un de ses mails en nous glissant qu’il est père de quatre enfants et comprend les difficultés d’organisation que peut engendrer la situation. De son côté, la responsable administrative de l’école de communication qui est notre premier contact à l’université pour nous, étudiants en mobilité, nous adresse plusieurs mails uniquement pour « prendre de [n]os nouvelles » et savoir comment nous allons. Elle tient à nous témoigner sa compassion avec des paroles comme : « je suis tellement désolée que votre expérience de mobilité en COMU se passe de la sorte ».
Nous vous encourageons à avoir des gestes de solidarité
Cette tonalité humaine est à saluer car assez exceptionnelle venant d’une institution comme celle-ci. Elle s’accompagne d’une volonté de transmission de valeurs comme la solidarité, la non-stigmatisation et l’attention aux autres : « Nous vous encourageons à avoir des gestes de solidarité (comme envoyer des messages de soutien, prendre des nouvelles de vos amies et amis…) et à aider à stopper la stigmatisation dont les personnes malades font malheureusement l’objet ».

Cette tonalité chaleureuse se retrouve sur les réseaux sociaux, où la production de contenus est très riche, sur les divers comptes de l’université. La page officielle de l’université sur Facebook est un lieu de partages d’expériences : elle publie régulièrement des témoignages ; des petites vidéos au format « Brut » montrant des étudiants, professeurs, membres de la cellule coordination Coronavirus ou de l’administration nous raconter leur quotidien. Cela reflète donc la volonté de l’UCL de donner la parole à tous, de faire partager le ressenti de chacun et de fédérer la communauté universitaire. L’UCL tient à maintenir un lien amical avec ses étudiants comme le montre le relai qu’elle a fait d’une création des étudiants sur Minecraft, jeu vidéo qui immerge le joueur dans un environnement donné, ou les activités qu’elle propose pendant le confinement. Ainsi, Lisa s’est abonnée à la page Facebook « UCLouvain Sports » pour suivre les vidéos d’activités sportives à faire à la maison.
L’aventure commence maintenant
Et parlons-en de ce confinement. Certains sont rentrés au bercail, d’autres ont choisi de poursuivre l’aventure louvainiste en s’enfermant dans leur « kot », petit nom belge pour désigner un logement universitaire, ou une colocation. Je suis pour ma part rentrée en France dans la précipitation samedi 14, en même temps que ma cokoteuse espagnole, laissant à mon logement quelques affaires et mes autres colocataires.

Diverses raisons ont motivé certains à rester : pour Emma, partager le confinement avec ses cokoteurs s’annonçait plus léger qu’un confinement en famille : « j’avais sûrement plus l’occasion de m’amuser avec mes cokoteurs qu’avec ma famille ». Malheureusement, l’ambiance au kot a été affectée par toutes les tensions qu’a engendré cet épisode. Vincent, lui, l’a vécu comme une opportunité : une opportunité pour prendre du temps pour soi et pour partager des moments avec ses huit cokoteurs, des moments que « nous aurions certainement passés chacun de notre côté dans les soirées à l’extérieur si le confinement n’avait pas eu lieu ». Aujourd’hui les soirées sont virtuelles, mais toujours un bon prétexte pour « boire un petit verre ensemble », et se prêter main forte. Fraternité et convivialité à la belge sont toujours de mise.
Ce qui pour autant perturbe la bonne humeur de Vincent, c’est l’impossible accès aux bibliothèques d’une part, et la méthode trouvée pour réaliser les examens d’autre part. Il déplore en effet de ne pouvoir emprunter aucun livre à la bibliothèque, ce qui le bloque dans la rédaction de son mémoire. Concernant les examens, ils auront la même forme que s’ils avaient été faits en présentiel, mais pour vérifier que les étudiants ne trichent pas, un système de webcam sera mis en place : le temps que l’étudiant réalise son épreuve, la webcam prendra trois photos de manière aléatoire. Ces photos seront ensuite analysées et feront naître ou non des suspicions concernant une quelconque tricherie. Une méthode inquiétante pour Vincent et révélatrice de l’immobilisme de l’université, qui aurait pu choisir un mode d’évaluation novateur et plus adapté à la situation.
En fin de compte, la plus grosse surprise de mon année de DU aura peut-être était celle-ci : cette si petite chose qui a envahi la ville que j’avais commencé à habiter et fait mettre aux abris ses étudiants agités… Enfin, n’allez pas croire que nos sympathiques estudiantins aient été aussi disciplinés. On me dit dans l’oreillette que lorsque le soleil a commencé à pointer le bout de son nez, les alentours du lac ont vu fleurir quelques jeunes pousses…
