L’enseignement des questions genrées et raciales à SDSU : le contraste entre théorie et pratique

02-05-2023

Durant mon semestre à SDSU, j’ai choisi comme majeure le bloc de matières « Women’s studies », domaine d’étude qui se penche sur l’ensemble des dynamiques sociales de genre dans une approche intersectionnelle. Parmi les cours qui m’ont été dispensés, trois ont particulièrement retenu mon intérêt, tant par leur contenu que par la mise en exergue qu’ils ont permis d’un paradoxe très évident entre l’apprentissage théorique de ces notions et leur mise en pratique au quotidien.

Une approche enseignante systémique et intersectionnelle assumée 

Dans le cadre de mon échange, j’ai notamment assisté aux cours de Sciences Politiques et d’Etude de genre suivants « Gender and work », « Women of Color in the US », « Politics of Race and Ethnicity in the US ». L’ensemble de ces cours, bien que proposant différents angles d’analyse, se rejoignent sur de nombreux points. D’abord, par leur approche intersectionnelle, telle que théorisée par la juriste féministe américaine Kimberlé Crenshaw. Cette approche met en avant l’idée que les identités sociales s’entrecroisent, notamment dans les systèmes d’oppression, de domination ou de discrimination, qui y sont liés. L’intersectionnalité est systématiquement et explicitement définie comme celle à privilégier dans l’étude des dynamiques sociales genrées, raciales et ethniques. J’ai pu constater le relatif consensus auprès des étudiants, qui contrairement aux étudiants français ont tendance à facilement exprimer leur opinions et questionnements durant les cours.

De façon plus poussée encore, des textes de sociologie marxistes et néo-marxistes sont lus et étudiés par les élèves et présentés comme faisant partie des fondement essentiels des études de genre notamment. En d’autres termes, au fil des cours et des lectures, il est expliqué que le capitalisme a été déterminant dans l’installation des normes et oppressions de classe et au même titre des discriminations genrées et raciales. Là encore, les explications très pédagogiques, convaincues et détaillées des professeurs semblent parfaitement comprises par leurs étudiants qui adhérent pleinement aux idées qui leurs sont communiquées, du moins de ma propre expérience. Il m’est rapidement apparu que de tels cours dispensés à des étudiants français par exemple auraient sans doute plus facilement faire l’objet de débat ou du moins de discussions autour de ces notions, par ailleurs bien moins répandues dans l’approche française des études de genre.

C’est en partant du constat de ce consensus globalement acquis chez les étudiants que j’ai aussi pu observer le niveau important de contradiction entre les opinions de ces groupes et leurs actions, notamment dans le cadre de leur quotidien d’étudiant.e.s américain.e.s.

Un mode de vie étudiante aux antipodes des enseignements ? 

Au sein d’un campus universitaire américain, les dynamiques de genre entre étudiants sont facilement observables car, pour une partie d’entre elles, assez caricaturales. L’exemple le plus marquant est celui des groupes de Fraternités et de Sororités. Ces groupes qui s’apparentent à des associations étudiantes sont nommés à l’aide de lettres grecques : la fraternité Phi Beta Kappa et la sororité Alpha Delta Phi par exemple. Ces associations sont de véritables institutions étudiantes, vieilles de plusieurs décennies voire de plusieurs siècles, les plus anciennes ayant été fondées au 19ème siècle. Ces groupes ont donc la particularité d’être genrés et non-mixtes : les fraternités n’accueillent que des garçons et les sororités uniquement des filles. Chaque sororité a un logement assigné où certains, voir tous les membres, peuvent cohabiter. Les maisons des sororités et fraternités les plus populaires sont ainsi bien placées sur le campus et très visibles, notamment grâce à leurs sigles affichés en grand sur la façade de la maison. Cette visibilité passe aussi par les membres des groupes qui pour beaucoup arborent fièrement tous types de vêtements et accessoire estampillés des fameuses lettres grecques.

Plusieurs normes écrites et-non écrites régissent le fonctionnement de ces groupes. Une règle m’a particulièrement marquée parce qu’elle définit une grande partie de la vie étudiante sur le campus de SDSU. Les fêtes avec de l’alcool et ouvertes aux autres étudiant.e.s ne peuvent être organisées que dans les fraternités et ne sont pas autorisées dans les sororités. Ainsi, de grandes fêtes nocturnes ont lieu dans les maisons aux lettres grecques où l’entrée est filtrée. À SDSU par exemple, les filles entrent généralement facilement tandis qu’un garçon extérieur à la fraternité doit être accompagné d’au moins cinq filles. En outre, les normes genrées binaires y sont exacerbées : ces groupes sont un concentré de masculinité et de féminité stéréotypées. Les filles portent du rose, sont pour beaucoup blondes, blanches, souriantes, minces et athlétiques. Les hommes sont grands et musclés, blancs également pour une grande partie, et se concurrencent dans une course à la bêtise viriliste sous forme de défis sportifs et largement alcoolisés. Entre ces deux groupes, les dynamiques hétéronormées sont très fortes : les relations amoureuses entre filles et garçons appartenant aux sororités et aux fraternités sont largement encouragées.

Ainsi, force est de constater que l’ensemble de ces dynamiques ne sont absolument pas interrogées ni-même mises en rapport avec les enseignement que j’ai suivis. Pourtant, de nombreux membres de ces groupes, notamment les jeunes femmes, se revendiquent comme des libéraux. De nombreuses étudiantes prennent pleinement part à ces dynamiques tout en adhérent activement au questionnement systémique des normes sociales générées et raciales en cours. Véritable paradoxe du way of life américain.

Louise Martos