En maîtrise de journalisme à l’Université Laval, des étudiants québécois aux abonnés absents
Depuis plusieurs années, la maîtrise de journalisme international à l'Université Laval connaît de multiples transformations, qui se traduisent par une classe toujours plus réduite, une proportion d'étudiants québécois qui ne cesse de décroître et un programme qui se teint graduellement aux couleurs bleu, blanc, rouge. Alors comment expliquer ce phénomène ?

« La concentration des médias aux mains des industriels concerne de plus en plus de médias. Regardez le journal Libération, en France, qui a été racheté alors que c’est un journal historiquement de gauche. »

Dans la petite salle à huis clos de l’Université Laval à Québec, les étudiants en journalisme hochent la tête, tout en tapant frénétiquement sur leur clavier d’ordinateur. Au tableau, un Powerpoint sur les mutations du journalisme défile. Pour illustrer sa démonstration, le professeur, Henri Assogba, enchaîne les exemples et les études de cas tirés du paysage médiatique français. Aucune main ne se lève pour réclamer une mise en contexte. Et pour cause : parmi les dix étudiants inscrits à la maîtrise de journalisme international de l’Université Laval seuls deux sont Québécois. Les huit autres viennent de France.

À l’Université du Québec à Montréal, on était presque tous Québécois.

Arrivé dans la ville de Québec en septembre, Émile Bérubé-Lupien s’est étonné de cette situation. Après un baccalauréat en journalisme, l’équivalent québécois d’une licence, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’étudiant de 24 ans a choisi de quitter la métropole québécoise pour suivre le programme de maîtrise en journalisme, l’équivalent d’un master, à l’Université Laval. « À Montréal, on était presque tous Québécois. On étudiait principalement la réalité du marché de la presse dans la province. Ce qui m’a surpris ici, ce n’est pas que l’on soit aussi peu de Québécois, puisque cela reste une maîtrise en journalisme international. Mais c’est le fait qu’il y ait autant de Français et aussi peu de personnes venues d’ailleurs. »

Émile Bérubé-Lupien, arrivé de Montréal pour suivre la maîtrise en journalisme international à l’Université Laval, s’est surpris du nombre important de Français engagés dans ce programme. ©Agathe Harel

Une volonté d’attirer les étudiants internationaux

Alors comment expliquer cette forte présence française en maîtrise de journalisme ? Henri Assogba, lui-même originaire du Bénin et diplômé de l’université de Lyon, enseigne l’actualité internationale aux étudiants de second cycle depuis 2012. Pour lui, la réponse à cette question réside dans l’origine même de la maîtrise : « Le programme existe depuis plus d’une vingtaine d’années. Il découle d’une volonté des écoles de journalisme de collaborer, à travers le réseau Théophraste, qui rassemble les centres de formation en journalisme au sein de la francophonie. Cela a permis à l’université de signer des accords de partenariats avec un certain nombre d’écoles à travers le monde. Donc la base même de cette filière, c’est l’ouverture à l’international. »

Outre les objectifs affirmés de la maîtrise de journalisme d’attirer des étudiants étrangers, d’autres facteurs s’immiscent dans ce schéma pour expliquer la présence massive des étudiants français. Depuis quelques années, le nombre de jeunes internationaux venus étudier dans la province explose. Alors qu’en 2009, on comptait moins de 25 000 inscriptions étrangères dans les universités québécoises, selon le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), c’est plus de 50 000 inscriptions qui ont été enregistrées en 2019. Cette hausse significative s’explique en partie par la politique anti-migratoire menée aux États-Unis, qui a incité de nombreux jeunes internationaux à se rabattre sur le Canada.

Une population étudiante québécoise en baisse

D’un autre côté, les inscriptions d’étudiants Québécois à l’université ne cessent de ralentir. En 2016, un rapport du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur alertait sur une potentielle chute de la population étudiante dans les universités québécoises. Dans ses conclusions, le rapport insiste sur la baisse probable du nombre d’étudiants québécois au cours des prochaines années. En 2016, 191 831 jeunes Québécois étudiaient dans une université au Québec. Selon les estimations du ministère, ils ne seraient plus que 179 624 à l’horizon de 2026, soit une diminution de plus de 6 %.

Cela fait une dizaine d’années que l’on a remarqué un ralentissement de la clientèle québécoise parmi les étudiants.

Pour Thierry Watine, Français installé au Québec depuis trente ans et responsable de la maîtrise de journalisme international à l’Université Laval, les établissements de l’enseignement supérieur font les frais d’une crise sociétale : « Aujourd’hui, au Québec, on vit un creux démographique qui provoque, de façon générale, une diminution du nombre d’étudiants dans de nombreuses disciplines. Cela fait une dizaine d’années que l’on a remarqué un ralentissement de la clientèle québécoise parmi les étudiants. »

Le prix des études, plus élevé au Québec qu’en France, aurait-il alors un rôle à jouer dans ce phénomène ? Non, selon l’enseignant-chercheur. « Nous sommes dans la province d’Amérique du Nord où les frais de scolarité sont les plus accessibles. Il y a un système de prêts et de bourses qui fonctionne très  bien. Donc, je dirais qu’en règle générale, à l’Université Laval, il n’y a pas de filtre par l’argent comme cela pourrait être le cas ailleurs. » En effet, alors que le prix moyen d’une session d’études au Canada s’élève à 7086 dollars canadiens en maîtrise, il n’est, pour un étudiant québécois à l’Université Laval, « que » de 1436 dollars au minimum.

Un marché du travail en constante demande

Comment expliquer le peu d’étudiants en journalisme au programme de maîtrise ? Un élément de réponse figure sur le marché du travail. La crise démographique qui sévit au Québec a provoqué une pénurie de main d’œuvre dans tous les secteurs d’activité, y compris les plus qualifiés. Au Québec, de nombreux étudiants se lancent très tôt dans la vie professionnelle. Stages, contributions bénévoles, contrats courts. De nombreuses opportunités existent dans les entreprises de presse pour les jeunes journalistes qui souhaitent se former directement sur le terrain.

Les médias étudiants comme première expérience

À l’Université Laval, certains étudiants ont fait le choix de s’engager dans des médias universitaires en parallèle de leurs études. Émile Bérubé-Lupien est lui-même salarié du magazine Impact Campus, qui couvre l’actualité de l’université, mais également les événements culturels de Québec et ses alentours. Le bimensuel compte aujourd’hui un peu moins d’une dizaine d’employés, rémunérés au nombre d’heures, mais surtout beaucoup de rédacteurs bénévoles. « La plupart des journalistes d’Impact Campus sont des étudiants en journalisme, principalement au premier cycle, explique Émile. Mais la directrice de la production, par exemple, est graphiste de formation et termine en ce moment son baccalauréat. Tous les cadres du magazine ont l’ambition de travailler un jour en journalisme. D’ailleurs, plusieurs anciens d’Impact Campus ont ensuite trouvé une place dans des médias à Montréal ou à Québec. Je pense que l’expérience parascolaire et l’implication dans les journaux étudiants sont très importantes pour entrer sur le marché du travail, ici. » Une expérience dont a profité Jessica Lebbe en arrivant de France.

Au Québec, les apprentis journalistes vivent leur Canadian Dream

« Bonjour Jimmy. Alors, expliquez-nous comment fonctionnent ces bols tibétains. » Dans le petit studio de la radio communautaire CKRL, au cœur du quartier Limoilou, à Québec, Jessica Lebbe s’applique à arranger les micros au dessus des bols chantants. D’une main assurée, son invité, Jimmy Thériault, de l’association locale Sérénité par le son, frappe tour à tour chacun des récipients posés devant lui, baignant l’espace de vibrations relaxantes.

Depuis 2013, l’actualité culturelle de Québec et des communes voisines est devenue le quotidien de Jessica Lebbe, qui anime chaque après-midi l’émission « Premières loges » sur les ondes de CKRL. En 2018, la jeune Française de 31 ans s’est vue attribuer le poste de directrice de la programmation, une responsabilité qu’elle n’aurait jamais imaginé obtenir en si peu de temps. « Cela va très vite. Vous imaginez ? En seulement six ans. En France, à l’âge que j’ai, dans une radio aussi influente, c’est une situation rarissime. »

L’invité de Jessica Lebbe, Jimmy Thériault, a proposé aux auditeurs de la radio CKRL une démonstration de bols tibétains. ©Agathe Harel

Pourtant, rien ne la prédestinait à une carrière en Amérique du Nord. Passionnée de journalisme, Jessica Lebbe a suivi des études de langues hispaniques en région parisienne, avec l’idée d’intégrer une des écoles de journalisme reconnues en France. Mais plusieurs circonstances l’ont menée a échouer aux concours d’entrée.

Elle s’est alors mise en quête d’une alternance dans une entreprise de presse. C’est lors de ses recherches qu’elle a découvert l’existence de CKRL, à travers une offre de stage de trois mois comme animatrice-journaliste. « À ce moment-là, je me suis dit : « Bon, je ne trouve pas d’entreprise pour l’alternance, donc quitte à avoir une expérience, autant la faire dans ce que j’aime, à l’étranger ». Pour venir, j’ai passé un entretien téléphonique, qui s’est très bien déroulé. À l’époque, j’étais dans une petite webradio qui s’appelait Clic and Rock. Mon profil était exactement ce que cherchait mon ancienne directrice : quelqu’un de débrouillard, de curieux, avec un peu d’expérience, et qui n’avait pas peur de venir jusqu’à Québec. »

Un poste rémunéré au bout d’un an

Après ce premier stage concluant, Jessica a cherché un moyen de retourner à Québec pour renouveler sa collaboration avec CKRL. Elle est alors entrée en contact avec Thierry Watine, qui lui a conseillé de revenir comme étudiante à l’Université Laval et passer le Certificat en journalisme, une formation pratique en un seulement un an. « Le Certificat me correspondait parfaitement. J’étais sur le terrain et j’ai connu beaucoup de monde à ce moment là, des amis de ma promo qui, maintenant, travaillent professionnellement comme journalistes. En parallèle de mes études, je continuais à être bénévole pour CKRL. »

C’est également durant cette année qu’elle a obtenu ses premières rémunérations pour un remplacement quotidien à l’émission du matin. « J’ai même dû, à un moment, suivre des cours à distance lorsqu’ils m’ont proposé un boulot. Et puis quand j’ai fini le Certificat, deux mois après, j’avais du travail. Ils ouvraient un poste et je l’ai eu. »

C’est un petit milieu où, à force, ton nom circule très vite.

Pour expliquer cette apparente fluidité du marché de l’emploi en journalisme, Jessica évoque la pénurie de main-d’oeuvre au Québec, mais également la taille réduite de la province, qui permet plus facilement de construire un réseau. « À partir du moment où, en tant que journaliste bénévole, tu commences à sortir un peu pour couvrir des événements, tu rencontres des attachés de presse, des organisateurs, d’autres journalistes, etc. C’est un petit milieu où, à force, ton nom circule très vite. Alors qu’à Paris, ou dans les grandes villes, il y a beaucoup de monde, notamment des grands noms qui sont là depuis longtemps. Ici, la population vieillit, les vieux journalistes partent à la retraite et laissent la place aux plus jeunes. »

Au Québec, la population des universités s’est transformée. Alors que la baisse démographique que connaît la province a provoqué un ralentissement du nombre d’étudiants québécois, les jeunes internationaux sont en revanche de plus en plus nombreux à y poursuivre leurs études. Mais la diminution du nombre d’étudiants en second cycle s’explique aussi par un marché du travail en forte demande, y compris dans le journalisme. La crise des médias, comme partout ailleurs, a fortement affecté la presse au Québec. Malgré cela, un jeune journaliste motivé a toutes les chances d’y trouver sa place, que ce soit dans les médias universitaires ou communautaires, toujours à la recherche de nouvelles plumes, ou dans les médias importants, comme Radio Canada, qui s’attache à former de jeunes journalistes en les postant en début de carrière dans des zones reculées. Le Québec est-il en voie de devenir l’El Dorado des aspirants journalistes francophones ? Une chose est sure, la voie est grande ouverte.