Ce que le street art fait à Mons

02-05-2023

À Mons, une place de choix est accordée au street art  : fresques réalisées par des élèves en arts appliqués montois.es, des graffeur.ses mexicain.es côté.es, ou des révolutionnaires au détour d’une ruelle. Une des forces du street art est qu’il a cette capacité à donner à voir la ville autrement : le Mons graffé n’est plus seulement défini par sa fonction d’habitation, de circulation, de consommation, mais devient le support et la condition matérielle d’une expression artistique citoyenne s’inscrivant littéralement sur l’espace public.

Mons, le « in »

Il y a d’abord les fresques du piétonnier et d’autres endroits habités du grand Mons. Il s’agit d’une exposition urbaine hors les murs, dénommée « L’art habite la ville ». Comme nous le dit le nom de cette exposition de street art à ciel ouvert, Mons devient, par l’art, le lieu propice d’une déambulation urbaine colorée et intéressante pour le.a promeneur.se. À Mons, les fresques murales ornent la ville et plaisent à tous les yeux, parfois trop habitués au gris du ciel belge. Mais la sérendipité, cet art de la découverte aléatoire productive et créatrice, ces fresques ne l’illustrent peut-être pas totalement. Elles sont des productions artistiques qui s’inscrivent en partie dans une politique d’attractivité de la ville. Commandées dans le cadre de Mons 2015 qui sacrait la ville en capitale européenne de la culture, ces fresques représentent et mettent en scène pour la plupart la ville de Mons en reprenant ses symboles les plus connus comme le beffroi, St Georges, ou encore le Doudou, fête emblématique de la ville wallonne. Ces œuvres font l’objet d’un parcours urbain à l’attention des touristes, comme on peut en voir dans la plupart des grandes métropoles. Sans aller jusqu’à parler d’un phénomène d’instrumentalisation d’une forme pop culturelle bien vue parce que considérée comme « cool » et « hors les murs », l’encadrement politique et la programmation de telles productions sont assez palpables. Le centre-ville de Mons a été rendu « instagrammable », le street art créant l’image d’une ville qui devient esthétiquement apte à être partagée, publiée et « likée », au même titre (mais à une autre échelle) que New York ou Berlin. Peut-être que l’expression « musée à ciel ouvert » conviendrait mieux à cette « exposition urbaine », les œuvres restant indélébiles, sans ratures, sans possibilités de remplacement, presque muséifiées.

Mons, le « off »

Comme nous le rappelle Elsa Vivant, « la fabrique de la ville créative se trouve dans la capacité des acteurs à accepter et rendre possibles des initiatives qui les dépassent ». Mons semble entamer ce processus, en mettant à disposition des murs pour les graffeur.ses et street artistes. Mais ces murs ne sont pas dans le piétonnier, à la vue de tous.tes, ils se trouvent loin, au « Grand Large », relégués dans un endroit plus ou moins désert, plus ou moins en réhabilitation, plus ou moins « off ». Le Grand Large est un lieu excentré, qui accueille les skateur.ses, parfois les forains, sûrement les dealers. C’est aussi un endroit nocturne où se regroupent certain.es. Si les fresques du piétonnier avaient vocation à faire événement puis à rester dans leur forme initiale, les productions du Grand Large, elles, se renouvellent toutes les semaines, voire tous les jours, puisque la création là-bas est libre et conserve le caractère éphémère du street art. Les œuvres s’y perpétuent dans le présent par le motif du palimpseste et de la filiation, au moins de la rencontre entre les artistes. Mais, parce que le Grand Large est excentré, personne ne parle, ne communique sur ces productions. Et elles ont même tendance à se perdre dans les discours et narrations sur le Grand Large et ce qu’il représente pour les habitant.es de Mons, à savoir un lieu de passage, qui peut être à éviter.

Finalement, ce qui frappe dans la ville de Mons, c’est qu’elle est le lieu d’un déploiement multiple, presque kaléidoscopique d’une pratique artistique populaire. Grâce au street art, la ville nous donne à lire la plupart de ses enjeux et les paradoxes de son identité urbaine.

Jana François